"La honte doit changer de camp" - Analyses
Trois associations - le Collectif féministe contre le viol, Mix-Cité et Osez le féminisme - lancent un nouveau manifeste. Le premier date de 1976. Ce qui a changé depuis et ce qui reste à améliorer.
Pourquoi ce nouveau manifeste contre le viol ?
Les stéréotypes ont la vie dure. L'opinion publique a toujours plus ou moins en tête cette idée que la femme violée l'a un peu cherché. On imagine toujours que le viol est le fait de rôdeurs. En réalité, la plupart sont commis au domicile de la victime ou de l'agresseur qui est un proche, une connaissance. La victime n'y est pour rien. Elle se sent malgré tout coupable et elle a absolument besoin d'être prise en charge. Aujourd'hui, ça suffit : la honte doit changer de camp.
Votre combat depuis 1976 aurait donc échoué ?
Non. Le viol était une question taboue. Ce crime est resté longtemps secret, impuni car mal défini par la loi. Les femmes portaient rarement plainte. Nous sommes passés de 1 200 plaintes par an dans les années 1980, à 12 000. Des victimes parlent, mais l'on doit encore progresser. Dans une enquête de victimation, 48 000 femmes majeures déclaraient avoir été violées en 1999 et, cette année-là, on ne comptait que 3 500 plaintes. Impressionnant décalage. Actuellement, les estimations basées sur les chiffres de l'Observatoire de la délinquance s'élèvent à 75 000. Or, les victimes sont aussi très souvent des jeunes filles et des fillettes. On atteindrait ainsi un chiffre de 120 000 viols par an.
Les moeurs ont pourtant évolué. Les rapports hommes-femmes sont moins inégalitaires...
Pas assez. Observez comment le choix des mots atténue toujours la responsabilité de l'agresseur. « Elle s'est fait violer », ce qui sous-entend que la femme a fait quelque chose. Ou « tournante », comme si cela relevait d'un jeu, et non pas « viol en réunion ». Le viol appartient à l'ensemble plus vaste des violences faites aux femmes, avec notamment les violences conjugales qui s'achèvent, après tabassage, par ce que l'on appelait autrefois la « réparation sur l'oreiller ». Ce n'est pas autre chose qu'un viol.
Les tribunaux sont de plus en plus sévères avec les violeurs.
Ils condamnent moins de 2 % des agresseurs sexuels. On parle beaucoup des récidivistes. Mais un père qui viole sa fille depuis des années est traité en primo délinquant. De temps en temps, on s'énerve contre un « monstre » alors que le viol est le fait de délinquants qui sont souvent bien intégrés dans les familles, les bureaux, les ateliers, les cabinets médicaux... Ce serait tellement plus confortable de penser que ce sont des gens différents, monstrueux !
Recueilli par
Bernard LE SOLLEU. - Ouest- France
Le manifeste contre le viol est lancé à l'occasion de la Journée mondiale contre les violences faites aux femmes, jeudi. On peut signer la pétition sur le Net : www.contreleviol.fr
Un numéro d'appel gratuit. Le 0 800 05 95 95 est un numéro national - « Viols-femmes-informations » - ouvert en 1986. Il reçoit en moyenne 7 000 appels par an.